Le Conseil des droits de l’homme a tenu, ce 23 septembre 2020, un dialogue avec la Commission d’enquête sur le Burundi.
Le Conseil était saisi du rapport final de la Commission d’enquête sur le Burundi (A/HRC/45/32).
Présentant ce dernier rapport, M. DOUDOU DIÈNE, Président de la Commission d’enquête sur le Burundi, a déclaré que le processus électoral, qui s’est achevé le 24 août, n’a pas été marqué par des violences de masse, mais plutôt par des violations des droits de l’homme commises tout au long du processus, y compris des exécutions sommaires et des cas de torture, et de nombreuses violations des principales libertés publiques.
L’enquête de la Commission montre que le CNDD-FDD, parti au pouvoir, et les autorités burundaises ont appliqué une stratégie de violence pour s’assurer de leur victoire électorale, au détriment en particulier du Conseil national pour la liberté (CNL), principal parti d’opposition, dont les sympathisants les plus actifs ont été visés. La Commission a aussi constaté la multiplication des discours haineux contre l’opposition et contre certaines ethnies. La presse et la société civile ont été muselées. La population a été contrôlée étroitement avant, pendant et après les élections, a ajouté M. Diène.
La sphère politique est dominée par les Imbonerakure, surtout dans les zones rurales, et les contre-pouvoirs traditionnels sont étroitement contrôlés, a poursuivi le Président de la Commission d’enquête.
La Commission a aussi réalisé des analyses approfondies des violences sexuelles commises au Burundi contre les hommes placés en détention ainsi que des violences, meurtres et viols d’enfants. Ces crimes sont commis en majorité par les Imbonerakure, a fait savoir M. Diène. La Commission a néanmoins constaté de premières brèches dans l’impunité généralisée depuis l’entrée en fonction du nouveau Gouvernement, avec la condamnation de plusieurs membres des Imbonerakure, a-t-il relevé. Mais des personnes soupçonnées d’avoir commis de graves violations des droits de l’homme occupent toujours des postes au Gouvernement, a regretté M. Diène.
Enfin, a indiqué M. Diène, la Commission a aussi enquêté sur les malversations qui sous-tendent l’économie burundaise, notamment la corruption et les détournements de fonds au profit de personnes proches du pouvoir.
Le rapport contient les recommandations de la Commission, s’agissant notamment de garantir la liberté de la presse ; de suspendre les agents de l’État soupçonnés d’avoir commis des violations des droits de l’homme ; et d’empêcher les Imbonerakure de se substituer [à la force publique].
Pays concerné
La délégation du Burundi a jugé le rapport diffamatoire et insultant. Elle a dit craindre que la mission de la Commission, déçue de la défaite du CNL en 2020, soit de faire disparaître le CNDD-FDD, dans une attitude pleine de haine et de vengeance à peine voilées. La Commission a été créée en violation de la Charte des Nations Unies, a affirmé la délégation.
Le Burundi ne veut pas être distrait par les rapports de la Commission, qui ne font que violer les droits de l’homme du peuple burundais, a poursuivi la délégation. Au contraire, a-t-elle demandé, « vu les efforts fournis depuis 2015 ; vu l’existence de mécanismes nationaux de suivi des droits de l’homme ; et considérant les rapports positifs des différentes délégations, du Secrétariat général des Nations Unies et l’engagement du nouveau Gouvernement, l’heure a sonné de tourner la page et d’entrer dans la logique d’une nouvelle dynamique de coopération ». La délégation a invité l’Union européenne à réaliser que seuls « la solidarité au développement économique entre les États et le respect mutuel de la souveraineté nationale peuvent contribuer à la promotion et à la protection des droits de l’homme ».
M. NASIR AHMAD ANDISHA, Vice-Président du Conseil des droits de l’homme, a déclaré que les attaques personnelles n’étaient pas admissibles.
Débat
Les dernières élections et la désignation d’un nouveau Président offrent une bonne occasion au Burundi de promouvoir et défendre les droits de l’homme, ont affirmé plusieurs délégations. Nombre d’entre-elles, se sont néanmoins inquiétées des nombreux cas de violations des droits de l’homme recensées dans le rapport de la Commission d’enquête.
A par ailleurs été largement déplorée la campagne d’enlèvements et d’arrestations arbitraires visant à empêcher la voix du peuple de s’exprimer librement. Le Burundi doit, au contraire, promouvoir l’instauration d’un climat de confiance et les autorités devraient libérer les opposants politiques, les journalistes et les défenseurs des droits de l’homme, ont plaidé plusieurs intervenants.
Le Burundi doit mettre fin aux graves violations des droits de l’homme commises par les forces de l’ordre et par les Imbonerakure et la reddition de comptes doit être une priorité du nouveau Président, a-t-il été souligné. Les autorités doivent notamment coopérer avec la Cour pénale internationale afin de lui permettre d’enquêter sur les crimes les plus graves commis dans le passé, a-t-il été affirmé.
Plusieurs délégations ont insisté sur la nécessité pour le Conseil de maintenir une attention soutenue à la situation des droits de l’homme au Burundi.
Une délégation a estimé que la situation intérieure dans le pays allait dans le bon sens et a félicité le nouveau Président pour son élection, qui témoigne, selon elle, du respect de la démocratie par ce pays. Plusieurs intervenants ont félicité le Burundi pour sa transition démocratique.
Les problèmes en matière des droits de l’homme doivent être réglés par une approche constructive et non pas par une confrontation avec les États concernés, ont par ailleurs affirmé plusieurs délégations. Les droits de l’homme ne doivent pas être utilisés pour s’immiscer dans les affaires internes d’un pays, a-t-il été ajouté.
*Liste des intervenants : Union européenne, Suède (au nom des pays nordiques), France, Australie, Chine, Belgique, Suisse, Pays-Bas, Venezuela, Luxembourg, Croatie, Fédération de Russie, Royaume-Uni, Soudan du Sud, Myanmar, Tanzanie, Bélarus, Iran, Égypte, Kenya, Irlande, East and Horn of Africa Human Rights Defenders Project, Human Rights Watch, Amnesty International, International Federation of Actgion by Christians for the Abolition of Torture, Institute for NGO Research, Association internationale des avocats et juristes juifs, Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH), Rencontre africaine pour la défense des droits de l’homme, CIVICUS – Alliance mondiale pour la participation des citoyens, International-Lawyers.Org.
Réponses et conclusion de la Commission d’enquête
MME FRANÇOISE HAMPSON, membre de la Commission d’enquête sur le Burundi, a regretté que les autorités burundaises refusent toujours de coopérer avec la Commission. Elle a constaté que les réfugiés de retour au Burundi étaient confrontés à la méfiance, à l’intimidation et aux agressions – au point que nombre d’entre eux ont repris le chemin de l’exil.
Mme Hampson a également fait observer que la Commission ne cesse de recevoir des informations sur des violations des droits de l’homme, notamment des détentions arbitraires. D’autre part, le nouveau Président a indiqué que sa priorité était la lutte contre l’impunité : « mais alors, pourquoi avoir intégré à son Gouvernement des personnes placées sous sanctions internationales », a interrogé Mme Hampson ? Elle a constaté au Burundi une restriction de l’espace dévolu à la vie civique combinée à une concentration inhabituelle de pouvoir entre les mains du parti au pouvoir.
Il convient, dans l’immédiat, de libérer les personnes détenues arbitrairement ; de mettre un terme aux exécutions sommaires ; de démobiliser les Imbonerakure ; et de rouvrir le bureau de la Commission des droits de l’homme, a recommandé Mme Hampson.
Pour M. DIÈNE, deux questions sont centrales : d’abord, la résilience de la communauté internationale pour obtenir des transformations durables et profondes au Burundi ; ensuite, le devoir d’assistance à la population burundaise. La Commission a documenté une crise historique et profonde, marquée par la violence. Aucun détenu politique n’a été libéré, tandis que les violations des droits de l’homme continuent au Burundi, a insisté le Président de la Commission d’enquête.